La région du Poët-Laval a connu une activité verrière grâce à la qualité de son sable et la présence propice de chênes blancs, hêtres et pins.
Des recherches récentes, dans des archives familiales et dans les minutes des notaires de la région du XVIII ème siècle, ont permis d’identifier au moins 25 verreries dans un rayon d’une dizaine de kilomètres.
Ces verreries n’ont pas fonctionné simultanément, mais leur existence révèle une activité importante. Les verriers ont pu constituer, au cours du XVIII ème siècle, un patrimoine qui a fait d’eux les plus importants propriétaires et contribuables de la commune au début du siècle suivant.
On sait que cette profession était exercée exclusivement par les nobles. Ils étaient donc, à la fois des gentilshommes, avec les privilèges que cela comportait, en particulier celui de ne pas payer certains impôts, et des ouvriers, des artisans, qui travaillaient de leur mains.
Ils étaient donc à la frontière de deux sociétés. Cela explique pourquoi ils ont traversés la révolution sans dommage. D’ailleurs, on leur donne toujours le titre de «gentilshommes verriers».
D’autre part, ce métier imposait des conditions de vie originales : leur fours consommant des hectares de forêt, les verriers furent obligés de déplacer leurs ateliers lorsque les bois alentour furent épuisés. Même s’ils étaient propriétaires de leur verrerie, ils furent obligés, au bout de quelques années, de louer un autre emplacement. Ils louaient donc des «granges» dans des zones boisées, généralement loin des agglomérations qui jugeaient leur présence indésirable en raison des nuisances et des risques d’incendie qu’elle engendraient.
Leurs installations étaient de petites unités artisanales qui pouvaient être montées en 8 ou 10 jours. Ils construisaient eux-mêmes leur four avec de l’argile et des briques réfractaires, sous un appentis, avec une aire de travail et un «magasin» où stocker la production en attendant les marchands qui l’emportaient à crédit .
Que fallait-il pour installer une verrerie ?
Tout d’abord du bois, en quantité, facilement accessible et transportable, bon marché, vu les quantités consommées, chênes blancs ou pins rabougris, ce qui explique que le secteur d’Aleyrac ait vu se succéder tant de verreries.
Ensuite, du sable de bonne qualité, c’est le matériau de base. Or le sous-sol de la région est composé d’un excellent sable, le safre, qui forme parfois de véritables falaises comme à Dieulefit ou à Odefred. Troisième élément, moins important : une «grange» assez grande pour loger la famille du verrier, souvent nombreuse, et son équipe, avec de l’eau, des terres, des prés, une vigne, un potager, pour assurer la subsistance en autarcie de 15 à 20 personnes (subsistance éventuellement complétée par les récoltes des terres affermées ailleurs).
Ce groupe va se déplacer de «grange» en «grange» au rythme des arrentements et de la consommation du bois – entre 5 et 8 ans en moyenne- rendant le domaine à ses fonctions agricoles en effaçant toute trace de l’activité de verrerie, quitte à ressusciter une ancienne verrerie, 25 ou 30 ans plus tard, lorsque les bois ont repoussé, en reconstruisant des fours.
Les familles des verriers qui ont travaillé au Poët-Laval au cours du XVII ème et XVIII ème siècle sont nombreuses :
– les familles Châteauvieux, d’Esclauzels, Pellegrin, Virgile, Berbezier, tous apparentés à de véritables dynasties de verriers du Languedoc,
– les familles Isnard et de Saulces, de familles dauphinoises,
– les familles de Ferre, surtout, branche locale d’une énorme famille de verriers, vieille de plusieurs siècle, implantée aussi en Provence et en Languedoc. (Remarquons au passage que toutes ces familles sont apparentées, le monde des verriers étant fermé sur lui-même, où l’on se marie volontiers entre soi…)
– enfin, la famille Bouillanes, nouveaux venus à la fois dans la région et dans le métier de verrier.
« Les Gentilshommes-Verriers de la région du Poët-Laval aux XVIIème et XVIIIème siècle : Histoire de cinq familles dauphinoises avant la Révolution«
de – (juin 2003)
Ce livre raconte l’histoire sur plusieurs générations de quelques familles du Poët-Laval dans la Drôme ou de bourgades proches, dont les membres, de petite noblesse rurale protestante ont travaillé le verre entre 1650 et 1799. L’originalité de leurs traditions, de leur mode de vie et de leurs conditions de travail, unissant les privilèges de la noblesse aux servitudes d’un métier manuel dans le contexte des difficultés issues de la révocation de l’édit de Nantes et des conditions économiques particulières de cette période, c’est ce qui apparaît au cours des pages. L’auteur, dont le mari est le descendant direct de l’un d’entre eux, Etienne de Bouillane, a pu réunir une documentation inédite, provenant d’une part de documents familiaux, d’autre part et surtout des minutes des notaires de la région conservée aux Archives de la Drôme.