L’artiste peintre Etienne Noël et la poterie locale
Arrivé entre deux guerres à Dieulefit, l’artiste peintre Etienne Noël redessine complètement le répertoire des productions, initialement traditionnelles, de la fabrique Pignet qu’il a rachetée au sommet de la rue des Ecoles à Dieulefit. Gazé pendant la guerre 1914-1918, il ne peut plus peindre, car il ne supporte plus les solvants de la peinture, mais a bénéficié d’une formation de reconversion aux ateliers Lachenal à Paris où il a appris à travailler les émaux.
Etienne Noël ne tourne pas mais fait tourner d’après ses dessins ; il décore par contre les pièces à l’intaille ou en dessinant avec des engobes colorées. Il développe également un discours de relations publiques, toute une rhétorique pour asseoir le statut d’œuvres d’art à certaines de ses productions, celles émaillées dont les formes sont illustrées par un feuillet d’impression sépia sur papier ivoire détenu par son fils Dominique Noël.
Des expositions sont organisées à Paris par exemple pour diffuser dans la meilleure société. Il ruinera son entreprise en s’attaquant à la verrerie, notamment pour réaliser les verres exigés par la restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle à Paris.
Les pièces émaillées d’Étienne Noël sont particulières et n’ont pas d’autre rapport avec la tradition dieulefitoise issue de la poterie culinaire que celle du tournage de l’argile. Leurs formes évoquent les civilisations anciennes ou orientales que la pratique des musées parisiens fait connaître et qui sont explicitement revendiquées par les titres descriptifs ; leurs couleurs vives et tranchées témoignent de l’engagement du peintre dans la recherche de la modernité, et les matières de ces émaux révèlent souvent la difficulté de conduire ces recherches novatrices dans ces domaines de science expérimentale. Un four à moufle spécial est utilisé pour ces productions émaillées qui exigent de ne pas être au contact de la flamme comme dans les fours traditionnels de la poterie vernissée locale. Ces œuvres très particulières diffèrent donc, voire s’opposent, aux productions d’usage quotidien également redessinées par Etienne Noël : service carré, service octogonal à petits points issu de l’argenterie anglaise (imité via surmoulage par Pichon à Uzès), service Louis XV, services ronds et festons (eux plus traditionnels), etc.. dont on dispose encore de nombreux exemplaires originaux et de catalogues illustrés de photographies.
Soixante ans après, ces services-là et leurs variantes et dérivés constituent l’essentiel de la production dite traditionnelle de Dieulefit : c’est dire assez de la solidité du design d’Etienne Noël.
Par contre, les conceptions de coloriste d’Étienne Noël furent trop en avance sur leur temps : il a ainsi produit des soupières Louis XV d’un superbe bleu cobalt… que la fin des années 1990 ont enfin mis au goût du jour chez Milon au sommet de la rue des Reymonds !
De nombreux héritiers
Cet extraordinaire foisonnement artistique est passé entre bien des mains, premièrement celles de Louis Lemaire et de sa Société Etienne Noël (S.E.N.) qui a exploité tous ces modèles, à l’exception notoire des œuvres émaillées qui n’ont plus été reproduites sauf quelques formes éditées en version vernissée.
Après René Robin, son fils Jacky (Poterie de la Grande Cheminée au Poët-Laval) conserve un catalogue des formes reproduites par la S.E.N., dont il s’inspire encore pour offrir de qui est aujourd’hui considéré comme le plus authentiquement traditionnel. Ces potiers-là comptent parmi les plus marquants au nombre de ceux qui ont puisé dans ce fonds devenu collectif pendant la guerre 1939-1945.
Les tourneurs et employés de ces fabriques ont laissé leur marque dans l’esthétique collective par la masse produite par le biais de la rotation des emplois.
Les derniers tourneurs connus, comme Pernette au Poët-Laval, Léopold Busac ou Henri Buis à Dieulefit, avaient le plus souvent une activité itinérante de poterie en poterie où l’on louait leurs services en fonction des besoins, tout comme leurs prédécesseurs. Après le travail, ils complétaient leurs revenus en travaillant la terre… d’un potager !
Une activité en constante évolution
L’aventure de la Faïencerie Coursange
La faïencerie Coursange au quartier Rivales au Poët-Laval, créée par Jules Coursanges en 1889, est exemplaire des nombreuses restructurations que l’activité céramique a dû subir pour survivre. Les premiers essais de porcelaine tendre à l’imitation de St-Uze restant infructueux, c’est vers la production d’une faïence calcaire dite majolique que Jules Coursanges s’oriente avec succès. En 1905, une carte-postale présente l’atelier de moulage de cette fabrique comme celui d’une « Faïencerie artistique », ce qui fixe bien les objectifs de cette entreprise originale tout autant que les conceptions esthétiques de l’époque. Les trois fils de Jules poursuivent la production de pièces estampées et moulées du début puis coulées ensuite : Henri (tué en 1914) est modeleur et crée de nombreux modèles dont certains survivent encore, Maurice prend en charge les aspects techniques et Paul les questions de gestion. La disparition de Maurice en 1938 laisse Paul seul ; il ferme l’établissement en 1939 en mettant 60 employés au chômage.
En 1943, Marie-Louise Piolet, Gabriel Barnier, Jules Bel et Marius Thuilier fondent une Société Anonyme pour reprendre le flambeau, redémarrage possible grâce au stock de matières premières heureusement conservées.
Quinze années plus tard, cette usine autrefois très spécialisée est devenue une unité de production généraliste : à la fabrication originellement essentiellement coulée est adjointe une production moulée, pressée ou calibrée, décorée au vapo ou au chromo, à caractère utilitaire ou fantaisiste sous la direction de Guy Delmas.
L’évolution technologique accompagne tout naturellement ces modifications avec des fours-tunnels de plus en plus performants, l’abandon de la bi-cuisson pour la monocuisson, l’adoption de moules en acier pour le pressage en complément des moules en plâtre pour le coulage, etc.. Un maximal de quelques 130 ouvriers et employés (une soixantaine encore récemment sous la direction de Gérard Verpeaux) faisait de cette entreprise le plus gros employeur du canton de Dieulefit qui a également fait travailler dans les années 1950 les actifs des futures céramistes de la région de René Barnavon à Jacques Pouchain.
Actuellement, avec la réhabilitation des bâtiment de la faïencerie, un collectif de céramistes et de plasticiens s’est installé dans une des parties du bâtiment , c’est un groupement d’atelier avec un patio commun s’appelant « L’Usine ».
La fabrication des pièces de céramiques se font dans les ateliers, les cuissons se font très régulièrement dans un grand four, celui ci peut être loué par d’autres potiers et céramistes hors des résidents de l’Usine. L’été, l’Usine est ouverte au public, des expositions temporaires et marché de noël ont lieu dans le patio de l’Usine. En savoir plus.